dimanche 18 janvier 2009

« JE SUIS UN GRAND JOUEUR », ENTRETIEN AVEC LUCIANO VINCENZONI, pt 1

Première partie d’un entretien (lui-même premier d’une série) avec Luciano Vincenzoni, scénariste pour Mario Monicelli (La Grande guerre), Pietro Germi, resté célèbre pour sa longue collaboration avec Sergio Leone. Il a, en effet, écrit Et Pour quelques dollars de plus, Le Bon, la brute et le truand et co-écrit Il était une fois la révolution.
Plus qu’aucun autre, Luciano Vincenzoni est le scénariste qui aura symbolisé la perméabilité entre cinéma d’auteur et cinéma de divertissement, qui a fait du cinéma italien des années 50 à 70, un des plus passionnants de l’histoire.
Quand on arrive chez lui, à Rome, on est forcément fasciné par les lieux. Vincenzoni vit là depuis plus de quarante ans. Au cours d’une visite rapide, il me montre sa machine à écrire sur laquelle il a écrit ses scénarios, les prix qu’il a reçu... Il m’explique que pendant longtemps, il a gardé un second appartement, dans le même immeuble, où il accueillait ses amis en visite, comme Philippe de Broca, ou Billy Wilder. D’ailleurs, on ne peut pas ne pas remarquer l’omniprésence de souvenirs de Wilder, avec qui Vincenzoni a collaboré sur Avanti!, ainsi que sur quelques projets qui n’ont jamais vu le jour. Notamment, dans le salon, un énorme portrait du cinéaste, dont la dédicace dit « Désolé, cher Luciano, mais c’est la plus petite photo potable de moi que j’ai réussit trouver... ».


PREMIERE PARTIE : LES DEBUTS, DE PIETRO GERMI A DINO DE LAURENTIIS. SERGIO LEONE FAIT SON ENTREE...

Beaucoup de scénaristes italiens (Sergio Donati, Franco Solinas, Ernesto Gastaldi...) ont commencé leur carrière comme romanciers et se sont tournés vers le cinéma pour des raisons financières. Est-ce que c'est aussi votre cas ?
Non. J'ai eu la grande chance d'écrire une histoire qui a tout de suite été achetée. Ça s'appelait Hanno rubato un tram (1954). Aldo Fabrizzi qui était alors au sommet de sa popularité, l’a aimée et l'a achetée. Le film a eu beaucoup de succès et moi, qui venait de province, je me suis installé à Rome.

Vous vous êtes juste occupé du traitement ?
Oui. C’était en 1954. J'avais lu un article dans un journal qui racontait exactement l'histoire celle du film, sauf que ça se passait à Vienne. C’est l'histoire d'un contrôleur de tramway qui a toujours menti à son fils en lui faisant croire qu'il est conducteur. Il entretient le mensonge jusqu'au jour où l'enfant doit aller à l'école et, pour s’y rendre, prendre le tramway où travaille son père. Là, le père décide de voler le tram, avec son fils dedans, pour continuer le mensonge. Très vite, ce train devient une espèce de cours des miracles. Toutes les putains, tous les clochards de la ville montent sans payer et ça devient une grande fête. A l'aube, la police arrête le père et le met en prison. Après vient le procès et le juge comprend que cet homme a le droit de conduire un tramway. C'est tout. J'ai vendu ça à Aldo Fabrizzi qui, après, a fait le film avec ses scénaristes.

Le deuxième film que vous avez écrit était Il Ferroviere (Le Disque rouge, Pietro Germi, 1956).
Avant j'avais écrit quelques films de B. J'étais un ghost writer. Mais mon deuxième film important, c'était Il Ferroviere, oui.

C'était votre première collaboration avec Pietro Germi. Comment vous êtes vous rencontrés et comment s'est passée l'écriture du film ?
Oh... c'est toute une histoire. On était amis. A l'époque, Germi traversait une crise. Personne ne voulait lui signer de contrat parce qu'il avait laissé tombé deux films. On avait terriblement besoin d'argent. A l'époque j'avais lu un livre de Gilbert Cesbron, Les Saints vont en enfer, un roman formidable. Formidable! J'ai dit à Germi de le lire. Il l'a lu et a dit : "Formidable! C'est le film que je veux faire". Mais il devait aller à Paris pour parler avec Cesbron et nous n’avions pas d'argent. J’en avais un peu mais, lui, zéro. Alors on est allé dans un mont de piété et on a apporté des objets, ma montre et son appareil photo. Il est parti à Paris. Il a rencontré Cesbron qui était d'accord sur le principe. Mais il avait promis au Cardinal Ferte de ne pas vendre les droits du roman pour le cinéma. Il avait fait cette promesse parce que l'histoire était terrible pour l'Église. Alors Germi est rentré en Italie. On était sans montre, sans appareil photo et sans les droits du livre. A ce moment là, un écrivain, Alfredo Gianetti, a donné un traitement à lire à Germi. Germi l'a lu et l'a trouvé pas mal. Il me l'a fait lire. C'était très bon. C'était Il Ferroviere. On a commencé à écrire le scénario, le film a eu un énorme succès et la carrière de Germi a été relancée.

C’est à la suite de ce succès que vous avez enchaîné sur La Grande guerre (La Grande guerra, Mario Monicelli, 1959) ?
Ça c'est encore une autre histoire. Il Ferroviere avait eu un grand succès. Énorme ! Mais après j'ai eu un passage à vide. Je ne travaillais pas. Je n'avais plus d'argent. Je vivais dans un petit appartement. Un jour, je me suis rendu compte qu’il ne me restait plus que mille lires. Je me suis demandé si j’allais les dépenser dans une boule de mozzarella et un verre de lait, ou plutôt dans un taxi pour aller essayer de rencontrer le plus grand producteur italien de l'époque, ce mythe, Dino de Laurentiis. J'ai décidé de prendre le taxi pour aller aux studios de De Laurentiis. A la moitié du voyage, tac, le compteur dépasse les mille lires. Mille deux cent… Mille trois cent… Je n'avais pas d'argent pour payer. Quand on est arrivé au studio, le compteur marquait mille sept cent lires. Je suis descendu et avec beaucoup de dignité j'ai dit : « Vous m'attendez, naturellement ». L'attitude que j'avais, le prix... Le chauffeur a répondu « Mais oui, monsieur le Comte ! ». Je suis entré dans le studio, en cachette, derrière un camion parce que je n'avais pas d'autorisation. Je me suis présenté devant la secrétaire de Dino de Laurentiis et je lui ai dit : « Je voudrais parler avec De Laurentiis ». Elle a demandé : « Qui êtes-vous ? ». Non ! Elle a dit : « Qui es-tu? ». J’ai répondu : « Mais je suis Vincenzoni ! ». J'avais déjà téléphoné plusieurs fois et elle m'avait toujours dit « Non, il est en réunion... ». Quand je lui ai dit qui j'étais, elle s'est mise en colère : « Mais pourquoi vous êtes venu? Je vous ai déjà dit non ! », « Mais je voudrais parler avec M. De Laurentiis ! », « Il est en réunion en ce moment ! ». J'ai demandé : « Madame, ou mademoiselle? ». Elle a dit « Mademoiselle ». « Mademoiselle, je ne veux pas avoir à vous mettre de coup de pied dans les fesses. Je vais parler avec De Laurentiis et c’est tout ». Et je suis entré dans le bureau. A la table de De Laurentiis, il y avait le metteur en scène Carlo Lizzani et un avocat. De Laurentiis m'a vu et m'a dit « Qu'est-ce que vous faites ici ? Comment êtes-vous entré ? » J'ai dit « Je veux vous parler, je suis scénariste, j'ai des idées ! » « Je vais appeler la police ! » « Vous n'aurez pas le temps parce que si vous faites ça, je saute par la fenêtre ». Carlo Lizzani, qui me connaissait vaguement a dit à Dino : « On a terminé. Vincenzoni est un jeune scénariste. Donne-lui une chance de parler, enfin ! ». Finalement, De Laurentiis m'a dit : « Je te donne quinze minutes. Assieds-toi. Qu'est-ce que tu as ? ». J'avais toutes mes histoires avec moi : La Grande guerre, The Best of Enemies (Guy Hamilton, 1962), Il Gobbo (Le Bossu de Rome, Carlo Lizzani, 1960)… J'ai raconté, j'ai raconté, j'ai raconté. A un certain moment, il m'a arrêté et m'a dit : « Je vous ai donné quinze minutes et ça fait plus de deux heures que vous parlez. Vous avez raconté sept histoires. Je les achète toutes. Combien? Vous avez besoin de 100 000, 200 000, 300 000 ? » Alors il s'est tourné vers l'avocat qui était là et lui a dit : « On lui paye un million chaque histoire. En plus on lui fait signer un contrat d'exclusivité pour trois ans à un million par mois ». Je suis entré j'étais pauvre, je n'avais même pas d'argent pour payer le taxi et je suis sorti millionnaire. Il m'a dit « Viens demain matin à neuf heures pour signer le contrat ». Je m’apprêtais à partir quand je me suis souvenu que j'avais le taxi qui attendait depuis deux heures. Alors j'ai dit « M. De Laurentiis, rendez-moi service, je n'ai pas d'argent et j'ai un taxi qui attend ». Il a appelé son administrateur et il a demandé combien il y avait dans la caisse « Deux millions trois cent », « Prends deux millions et donne-les à ce garçon ». Deux millions de lires à l'époque, c'était beaucoup. Je suis sorti. Dans le taxi, il n'y avait pas le chauffeur. Il était couché sur la banquette arrière. Il pensait que je l'avais roulé. Quand il m'a vu il a dit : « Ah ! Vous êtes revenu M. le Comte! », « Qu'est-ce qui vous a fait penser que j'aurais pu partir ? Il y a un bon restaurant à Rome où vous aimeriez manger ? ». « Il y a bien Gigi. Mais c'est trop cher », « Allez, on y va. Je vous invite parce que vous m'avez porté chance ». On y est allé, on a fait un repas incroyable et lui, le pauvre, ne se doutait pas que pour moi aussi c'était le premier vrai repas que je faisais depuis trois mois. C'est comme ça que j'ai commencé ma carrière avec Dino De Laurentiis. J'ai travaillé pendant trois ans pour lui. Après nous nous sommes fâchés, je suis parti et je me suis associé avec Pietro Germi. On a fait deux films qui ont gagné des prix à Cannes, Séduite et abandonnée (Sedotta a abbandonata, Pietro Germi, 1964) et Ces messieurs dames (Signore & signori, Pietro Germi, 1965). Après j'ai rencontré Sergio Leone et Billy Wilder, et puis je suis allé en Amérique avec Dino de Laurentiis. J'y ai travaillé comme scénariste et comme producteur.

Vous parlez de Orca (Michael Anderson, 1977) ?
Oui. Je l'avais écrit avec Sergio Donati. On avait un scénario formidable. Dino De Laurentiis, vulgaire et arrogant comme tous les producteurs, surtout les napolitains, a décidé qu'il avait besoin d'américaniser l'histoire. Il a fait venir un scénariste américain, Lorenzo Semple Jr. [Robert Towne aurait également travaillé sur le scénario sans être crédité], qui a ruiné notre scénario. Je me suis battu, mais il n'y avait rien à faire. Pendant la production, j'étais le producteur. J'ai cherché à remettre en place les choses détruites par cet idiot. Mais c'était impossible. En tous cas le film a eu un grand succès, surtout en télévision et il continue à passer régulièrement.

Une suite était d’ailleurs prévue.
Non. J'avais dit à De Laurentiis qu'il fallait en faire une. J'avais même une idée. Mais il ne m’a pas écouté.

Pourtant ça a été annoncé. Joe Dante devait le réaliser. Il avait été contacté après le succès de Piranha (Piranhas, Joe Dante, 1977).
Je ne savais pas. Joe Dante est un ami à moi. On a un contrat ensemble. Il devait réaliser un scénario que j'avais écrit avec Sergio Donati, Pizza and Tomahawk. Une comédie formidable. C'est l'histoire d'un idiot italien qui s'enfuit de Sicile parce la mafia veut le tuer. Il arrive en Amérique et il se cache dans une réserve indienne. Là, il apprend aux indiens à faire la pizza ce qui le rend très célèbre et populaire dans la réserve... C'était une histoire incroyable.

Vous aviez aussi collaboré sur une suite à Le Bon, la Brute et le Truand (Il Buono, il bruto, il cattivo, Sergio Leone, 1966) qu’il devait réaliser.
Oui. Je l'ai écrit. J’en ai même un exemplaire ici. J'ai signé un contrat avec Joe Dante quand il n’était personne. Je l'avais présenté à Dino De Laurentiis. J'avais dit « Dino, voilà un metteur en scène de grand talent ». Vous connaissez Dante ? Il est tout petit. Dino l'a regardé un moment et il m'a dit : « Je n'aime pas ses cheveux ». Il ne l’a pas signé à cause de ça !

Au bout du compte, pourquoi avoir cessé de collaborer avec Germi ?
Quand on faisait Ces messieurs dames, une histoire autobiographique tournée dans ma ville natale, j'ai eu un malentendu avec lui après dix ans de collaboration et je suis parti. Dans ma vie j'ai eu de grandes douleurs, d'amour ou d'amitié. Dans ces cas là, l'unique médicament pour moi, c'est le jeu. Je suis un grand joueur. Au lieu de rentrer à Rome je suis allé au casino de Venise. J'ai joué éperdument pendant deux semaines et j'ai perdu tout l'argent que j'avais. Je suis entré à Rome sans un sou. J'ai trouvé dans la boite à lettres toutes les factures à payer, l’électricité, le chauffage, tout, tout, tout. Et je n'avais pas un sou. J'étais désespéré. J'ai pensé à me suicider ! J'étais dehors, ici, sur le rebord de la fenêtre. Toc, toc, toc. Il y a quelqu'un à la porte. J'ai ouvert. Sergio Leone est entré. Il était énorme ! Je me rappelais qu’il était épais comme mon petit doigt à l’époque où il était assistant réalisateur. Je l'avais connu sur mon premier film, Hanno rubato un tram. Le metteur en scène, Mario Bonnard, était tombé malade et Leone l’avait remplacé. Le premier film de Leone, c'était aussi le mien ! A l’époque, il était tout maigre. Et cette fois là est entré un type énorme. Il avait vu mes films, La Grande guerre et les autres et il m'a dit « J'ai ce traitement que j'ai écrit avec mon beau-frère [Fulvio Morsella] ». J'ai accepté. C’était Et pour quelques dollars de plus (Per qualche dollaro in più, Sergio Leone, 1965). Ils m'ont payé vingt-cinq millions, j'ai écrit le scénario, et là sont arrivés succès et argent.

A suivre, dans la seconde partie de cet entretien, la collaboration compliquée entre Luciano Vincenzoni et Sergio Leone !

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